La haine de la dette
2006, Payot, Paris
Fiche de lecture du livre de Gabrielle Rubin
Introduction
Le décalage temporel, dans les échanges qui créent les relations sociales, transforme le don en dette, qui a vocation à être apurée. Le don des parents à l’enfant n’appelle pas de remboursement. Le passage à l’âge adulte permet de passer de l’impression que tout nous est dû à la volonté d’échanger. Certaines personnes restent, à l’âge adulte, dans l’illusion qu’elles peuvent recevoir sans donner, ou au contraire que leur dette ne pourra pas être remboursée. Des dettes anciennes non-apurées peuvent ainsi mener à des conduites d’auto-punition.
La dette entre individu et la dette entre groupes sont semblables, mais cette dernière requiert un remboursement de même nature et de même valeur, ce qui n’est pas le cas entre personnes. Le remboursement de dettes collectives est codifié et ritualisé, mais la dette individuelle peut être niée ou mal évaluée, la part affective étant très forte dans l’estimation de la valeur du don, liée à la valeur qu’on accorde à la personne. Il est de plus impossible à certaines personnes de rembourser, en particulier un enfant envers ses parents. Un remerciement, ou la réussite d’un projet, peuvent suffire à rembourser un lourd investissement affectif ou du temps passé.
Le sentiment partagé d’un juste remboursement de la dette ne dépend donc que de l’accord des deux protagonistes à ce sujet. Dans le cas contraire, le donateur peut être blessé que son don ne soit pas reconnu, mais c’est souvent le donataire qui en subit les plus lourdes conséquences.
Pour les dettes sociales, les conséquences sont ritualisées et mènent au discrédit du mauvais payeur. Dans le cas de dettes privées, les conséquences sont inégales, pouvant mener le donataire à exiger encore plus, à nier la dette, à la rembourser à d’autres, à agresser le donateur, d’autres personnes, ou lui-même, en particulier par une mésestime de soi.
La part de responsabilité du donateur participe au résultat, ainsi que la place des intervenants dans la société.
Du don social
Partout dans le monde un don crée une dette, l’échange est le mode de communication normal entre adultes. Sauf dans les contrées occidentales où le don est idéalisé. Mais ne pas rembourser une dette est infériorisant, sauf pour un récipiendaire mégalomaniaque qui considère que tout lui est dû, et qu’un don qu’on lui fait n’a pas à être rendu.
Les dettes collectives se gèrent de façon similaires, mais elles sont conscientes et leur remboursement est régi par des règles coutumières. Il en est de même lorsque cette dette est portée par un individu, le chef, tant que c’est le clan qui est engagé à travers lui. En revanche le remboursement des dettes psychiques entre individus n’est pas codifié. La mauvaise estimation de la valeur ou de l’existence de ces dettes mène à l’impossibilité de leur remboursement, et à l’impossibilité d’en gérer les conséquences.
L’universalité du besoin social de rembourser notée par les ethnologues, montre que nous le portons en nous. Une dette acceptée, et son remboursement, renforcent les liens sociaux et affectifs. Marcel Mauss montre ce mécanisme, en général appelé Potlatch, dans son Essai sur le don. Ce don ritualisé doit être remboursé sous peine de dommages psychiques, et de dévalorisation du donataire et du groupe qu’il représente, sous forme de perte d’autorité, d’honneur, de mana. Le cadeau peut même être réputé détenir une partie de l’essence du donateur, qui doit donc être rendue, sous peine d’agir contre son détenteur abusif. Dans le cas normal, le potlatch, qui peut prendre de nombreuses formes, matérielles ou dématérialisées, ajoute au prestige du donateur. Il devient donc l’enjeu d’une lutte d’influence et de prestige. A l’extrême, ce désir de dominer peut pousser à détruire les biens plutôt que les donner, rendant l’infériorisation de l’autre définitive.
Au premier abord exotique, le potlatch n’est pas absent des sociétés occidentales. Mais il y est masqué par l’apologie du don gratuit, et la culpabilisation du prêteur. Non-assumée, la nécessité de rembourser se transforme en festivités, invitations, et marques d’affection.
Cette obligation est donc universelle et s’applique aussi à l’échelle individuelle. Là ou le non-respect de la dette collective pouvait entraîner une guerre, le non-respect de la dette individuelle peut entraîner un désordre psychique. La dette peut prendre des formes diverses, matérielles, en aide professionnelle, en soutien et encouragements, qui sont visibles par le donateur et le récipiendaire. Son remboursement, ou son non-remboursement, est donc conscient.
- Il y a par contre trois types de dettes non-assumées et dont il est difficile de se débarrasser.
- La dette peut être niée et son souvenir refoulé, comme Maria qu’on verra plus loin qui a oublié l’affection que lui portait sa mère.
- Elle peut être connue mais minimisée par le récipiendaire. Il est normal de leur faire des dons, et ils pensent ne rien devoir aux donateurs.
- Enfin elle peut être reconnue, mais sembler tellement immense qu’il ne sera jamais possible de la rembourser. Cette amplification de la valeur du don repose sur l’idéalisation du donateur, et conduit le donataire à s’inférioriser pour ne pas pouvoir rembourser.
Dans tous les cas le non-apurement de la dette crée de la haine envers le donateur, qui peut être retournée contre soi-même. Le masochisme de ces débiteurs peut faire croire qu’ils éprouvent du plaisir dans la situation qu’ils ont participé à créer, alors qu’en fait cette douleur ne sert qu’à soulager le poids de leur dette.
Les dettes intarissables
L’infériorisation que représenterait le non-remboursement d’une dette peut être niée, mais elle reste blessante. La société réprouve l’ingratitude. Par exemple le décès de personnes âgées lors de la canicule de 2004 interroge sur leurs enfants qu’ils ont aidés à grandir. S’en sont-ils désintéressés en rétorsion de mauvais traitements, ou par excès de confiance dans leur capacité à survivre sans aide ? (je me permets de rappeler que ces remarques sont faites très peu de temps après l’évènement – F.F.). Quand la dette est personnelle, c’est le récipiendaire qui, dans l’impossibilité de rembourser, se dénigre lui-même.
Ce sentiment d’infériorité vient de la relation mère-enfant. La mère n’attend pas de remboursement pour le don qu’elle fait à son enfant. La survie et l’épanouissement de l’enfant suffiront à la rembourser. Elle doit par contre faire évoluer cette relation vers la réciprocité, en lui donnant l’occasion de rendre service, de comprendre les limites de la toute-puissance de sa maman, et sa propre capacité à l’aider. Le père participe à cette évolution en étant le modèle œdipien conduisant à l’individualisation de l’enfant, et son accession à l’âge adulte. Comme les animaux, nous consacrons toute notre énergie à protéger le nourrisson impuissant. Contrairement à eux, nous créons un lien d’interdépendance avec l’enfant devenu grand, qui l’amènera éventuellement à s’occuper de nous plus tard. Grandir est valorisant mais fait perdre des privilèges et du confort. Ce choix nécessite que les parents aident l’enfant à se détacher d’eux. On retrouve cette affirmation de la volonté de se détacher lors du règlement du prix des séances de psychanalyse, affirmant ainsi la fin de la régression fantasmatique par une relation d’égal à égal.
Une partie de ce remboursement peut être tournée vers d’autres personnes que le donateur, sauf si le don initial semble trop énorme.
Colette : « Rien ne pourra diminuer l’énormité de ma dette »
La dette non-apurée inconsciente pèse sur le débiteur. Dans le cas de cette femme, la dette est consciente mais sur-évaluée. Elle est insatisfaite de sa vie, qui ne comporte pas de points particulièrement positifs ou négatifs. Sa mère avait renoncé à ses ambitions professionnelle pour élever ses filles. En l’absence regrettée de garçon, elles ne sont pas particulièrement encouragées dans leur scolarité, mais très sollicitées pour les tâches ménagères. Colette était malgré tout devenue institutrice puis directrice. Elle ne voit pas les torts de sa mère dans son comportement peu aimant, puis se laisse humilier par son mari et fait toutes les corvées au travail. Elle ramènera son masochisme à un niveau acceptable en prenant conscience du sentiment de dette qu’elle a créé en fantasmant avoir tué le fils tant attendu par sa mère, en naissant à sa place.
Julianne ou les usuriers psychiques
L’impression d’impossibilité de rembourser peut s’appuyer sur la vanité du donateur, qui domine le donataire et le persuade qu’il n’a pas fini de rembourser. Abandonnée en bas âge à la fin de la guerre, Julianne est confiée à une famille paysanne, qui l’adoptera plus tard. A la mort de son mari, sa mère adoptive la retire de l’école et l’envoie travailler. Julianne ne remet pas en cause ce choix, ni aucun autre, et admire inconditionnellement sa mère. Celle-ci l’insulte quand elle apprend que sa fille a une grossesse hors mariage, puis accapare sa petite-fille. A la reconnaissance liée à l’adoption vient s’ajouter un sentiment de trahison pour avoir fauté, et de culpabilité pour n’avoir pas été très présente pour sa fille, confiée à sa grand-mère pendant les heures de travail. Il peut même s’agir d’un sacrifice de l’enfant du péché à la grand-mère si parfaite, mais qui n’avait pas pu avoir d’enfant biologique elle-même, et avait dû adopter Julianne. Celle-ci s’était donc trouvée coincée entre un sentiment de dette exagérée envers sa mère adoptive, et un manque de reconnaissance de sa propre fille.
Richard : « Je dois avoir des gènes de Saint Bernard »
La blessure narcissique causée par l’abandon par ses parents provoque différentes réponses. Les parents adoptifs peuvent être magnifiés, la dette à leur égard semblant insoluble. Elle peut sembler tellement énorme qu’elle engendre de la haine envers les adoptants, ou une tentative de remboursement sans fin, souvent tournée vers d’autres.
Richard apprend à huit ans qu’il a été adopté par sa famille, très aisée, de la bouche d’un enfant qui pensait avoir été floué de l’affection de la maitresse de maison. Ayant perdu son enfant et toute chance d’en avoir un, elle s’était attachée à ce nouveau-né, fils d’une domestique, avant d’adopter Richard, qui avait alors pris la place de cet enfant de substitution provisoire. Il se sent inutile et se comporte en tant que tel. Il prête sans espoir de remboursement, pense qu’on ne peut s’intéresser à lui que pour son argent. Il arrive à la conclusion partielle qu’il trouve injuste d’avoir été choisi, plutôt que chacun des orphelins délaissés qui auraient pu prendre sa place, ce qui le conduit à donner à tout va sans espoir de régler sa dette.
Les dettes niées
A l’opposé de ces dettes imaginées ou réelles qu’on ne peut pas rembourser, il y a des dettes réelles qu’on n’assume pas. Elles entraînent une culpabilité, une dépréciation de soi et donc du masochisme. Le mécanisme d’aide et d’échange est perturbé et une ancienne dette peut influencer les nouvelles relations.
Histoire de Maria, qui détestait et rudoyait sa mère par peur de l’aimer
Une femme brillante refuse de s’identifier à sa mère, femme au foyer sans instruction, et nie les efforts que celle-ci a fait pour élever ses enfants, et la reconnaissance qu’elle mérite. Le moindre échec, rare, la plonge dans la déprime et l’angoisse, et un jugement très négatif d’elle-même. Elle n’établit pas de relations de couples durables, et accepte la dévalorisation par ses compagnons. Elle ne voit pas les torts de son père dans sa relation avec sa mère, fait de mépris, voire de violence physique. Elle en rejette la faute sur la victime.
Son refus d’identification à sa mère la conduit à refuser le remboursement de sa dette, sous forme d’affection. Par contre elle reproduit le modèle parental dans ses expériences de couple. Elle prendra conscience des qualités de sa mère et prendra sa défense dans ses conflits conjugaux, puis établira une relation de couple équilibrée.
Un personnage de théâtre saisi par l’ingratitude
Dans Le voyage de Monsieur Perrichon, Eugène LABICHE présente un personnage qui transforme le poids de sa dette en rancœur envers son bienfaiteur. Deux prétendants d’une jeune fille l’accompagnent en vacances avec sa famille pour se disputer ses grâces et celles de son père. Armand, sauve le père, Monsieur Perrichon, d’un accident. Celui-ci, d’abord reconnaissant, minimisera la situation, et finit par lui en vouloir d’avoir créé une dette en le sauvant.
L’autre prétendant, Daniel, comprend ce problème de dette, et en déduit qu’en faisant semblant d’être en danger, et en se faisant sauver par Monsieur Perrichon, il créera l’effet inverse : son sauveur le trouvera précieux, comme rappel de son propre courage. L’affaire est faite, c’est le prétendant soit-disant sauvé qui sera poussé dans les bras de la fille, et le prétendant sauveur sera éconduit. Le pot-aux-roses sera découvert par une pirouette théatrale. Monsieur Perrichon reconnaitra sa dette, et par là même la remboursera symboliquement, geste appuyé par le don de sa fille au prétendant.
Marcel Proust montre un exemple de potlatch privé dans Du côté de Guermantes. Un des protagonistes obtient des avantages pour l’autre, mais sans obtenir la contrepartie qu’il convoite. Il finit par toucher son interlocuteur en le touchant sur un sujet qui l’intéresse, d’où l’intérêt d’accorder la valeur de l’échange entre les protagonistes d’un potlatch.
La responsabilité des donateurs
Les responsabilités sont forcément partagées dans un conflit, même si parfois ce partage est déséquilibré. Si l’ingratitude nous choque, qu’en est-il du donateur, qu’il minimise ou exagère la valeur de son don ? Freud constate que l’ingratitude répond à un comportement donné. Certaines personnes sont souvent trahies. Elles attribuent à la fatalité une répétition qui doit prendre source dans une compulsion de répétition. Ce mécanisme s’appuie sur un manque d’estime de soi, qui fait déconsidérer la valeur de son don, et donc rend difficile son remboursement. Le donataire ressent alors une impression de dette, dont il essaiera de se débarrasser en la niant. Le donateur en souffre aussi, mais satisfait le fantasme réparateur souligné par Mélanie Klein, qui le situe dans le camp de ceux qui se sacrifient. Il ne fait donc pas de reproches et ne se venge pas, et ainsi se valorise. Par là même, il empêche le remboursement de la dette et enferme le récipiendaire dans une infériorité dont celui-ci cherchera à se venger. Freud nomme névrose de destinée cette tendance à recréer inconsciemment les conditions de sa propre déchéance. Le masochisme du donateur, qui ne dévalorise pas son propre don, encourage le sadisme du donataire.
Tous ces dons pouvaient être ambigus, mais ils étaient donnés de bonne foi. Il y a aussi des dons destructeurs, qui amènent à réfléchir aux notions de justice et d’aumône.
Le devoir d’aumône tient du besoin de rembourser une dette, et d’obliger les dieux. Les civilisations sémitiques et méditerranéennes associent valeur et pauvreté, justice et charité. Ces notions n’ont pas cours chez les animaux, où le plus fort se sert sans gêne, ni chez les dieux. Par exemple la réussite de Jacob et la déchéance d’Esaü ne nous semblent pas juste. Notre désir de justice va même jusqu’à vouloir réparer des injustices sans coupables, des catastrophes naturelles, comme si nous avions contracté une dette en n’ayant pas été atteints.
Les dettes négatives
Les dons de haine et de violence doivent aussi être résolus. Souvent on rend le bien pour le mal. La plupart des enfants maltraités deviennent de bons parents. En rendant le bien, ils s’efforcent de soigner l’enfant qu’ils ont été. D’autres, plus rare, deviennent à leur tour tortionnaires, mais pas forcément contre la personne à l’origine du don.
- les parricides et matricides rendent le mal à celui qui leur a donné
- la revanche peut s’exercer sur une personne similaire au donateur, comme Guy George qui cherche dans ses victimes la mère qui l’a maltraité
- la victime peut retourner contre elle-même cette dette négative, pouvant se créer de graves problèmes de santé, comme Fritz Zorn
Un matricide déplacé : Guy Georges, violeur et tueur en série
Les enfants martyrisés sont en général très attachés à leur bourreau. Les rares révoltes se produisent pour protéger l’un des parents contre l’autre. Les parricides qui peuvent en résulter ne sont pas sévèrement réprimés, parce que dans le fond ils résolvent une dette.
Cette réaction peut se déplacer sur d’autres personnes, comme dans le cas de Guy Georges. Sa mère naturelle l’avait d’abord abandonné, puis avait fait changer son nom, qu’il voudra récupérer plus tard. En crise d’identité, il avait reporté sa haine contre un certain type de femmes qui représentaient sa mère, puis contre la société qui l’avait laissé récidiver.
Mars, un homme qui va mourir par haine de sa propre perfection
Fritz Zorn raconte dans son autobiographie Mars comment il vit une enfance sans problème, mais terne, comme un carcan où tout est artificiellement bon. Il ne remet jamais en question ses parents et déplace sa rancœur contre eux en développant un cancer qui l’emportera peu après la rédaction de son livre.
Psychanalyse et don personnel
Projection et réparation
Le don personnel obéit aux mêmes contraintes de remboursement que le don social, sous peine des mêmes sanctions, mais n’est pas toujours conscient. Le fait d’avoir donné est connu, mais la dette qu’elle engendre ne l’est pas forcément. Beaucoup d’échanges s’effectuent spontanément, enrichissant la relation sans heurt.
La pulsion orale basée sur le couple projection (se débarrasser de ce qui est désagréable)/ introjection (s’approprier ce qui est agréable), ou principe de plaisir, doit être dépassé par le principe de réalité. La mère fait exception, en donnant ce qui est bon au nourrisson, et en lui prenant ce qui est mauvais, sa souffrance, tant qu’il n’est pas capable, par sa propre pensée, de gérer la frustration. C’est ce que Bion a appelé la capacité de rêverie.
Mélanie Klein y ajoute la notion de réparation, qui oblige à dédommager (enlever le dommage) le donateur, qui a perdu une partie de sa mana dans le don. La réparation dépasse parfois notre capacité. Si l’Objet abimé est une personne chère, cette impossibilité peut être mal vécue, se transformer en angoisse, culpabilité et dépression. Les frustrations provoquées par les parents créent un désir de revanche qui abime fantasmatiquement l’Objet. Nous voulons alors le réparer dans le réel par un don affectif, sous peine de dommages narcissiques, comme vu dans les cas cliniques plus haut. L’enfant peut aussi renoncer à réparer, et rester fixé dans l’omnipotence infantile. C’est ce cas qui est étudié dans « la responsabilité du donateur ».
Pulsion d’emprise et blessure narcissique
Le don social répond à une pulsion d’emprise, mais nous ne voulons pas penser qu’il en soit de même pour le don personnel. En refusant la part de plaisir, issue de la pulsion sexuelle, qu’il y a à donner, et en n’y voyant que le sublime, altruiste, nous flattons notre narcissisme qui nous place au-dessus de l’autre. Comme le désir de savoir, le don vise la domination. Le don fastueux crée une dette trop chère pour être remboursée. Le don misérable, processus fréquent dans les couples sadomasochistes, dévalorise le donataire, et donc sa capacité à rembourser. La victime de ce don peut ramener cette dette à sa juste valeur en psychothérapie. Une solution provisoire est d’essayer de rembourser à d’autres personnes, ce qui est sans issue. Enfin on peut haïr le donateur, le Moi cherchant à détruire la source de son déplaisir, ou se haïr soi-même.
Conclusion
« Tout don engendre une dette, et toute dette doit être apurée. » Ce principe s’applique collectivement comme le montrent les ethnologues. Le don ne peut pas être refusé, il doit être remboursé, le non-remboursement crée le rejet.
De même le don personnel ne peut être refusé et doit être remboursé, mais sa valeur est estimée par le couple selon des critères affectifs. Le prix du non-remboursement est fixé et payé par le récipiendaire. Contrairement au potlatch, cette forme de don s’inscrit dans la sphère privée, et peut être oublié, sur-estimé, ou sous-estimé, provoquant des remboursements inadaptés. En l’absence d’échange équilibré, c’est le statut d’adulte du récipiendaire qui est touché, créant du ressentiment. Le délai n’est pas ritualisé non plus comme dans la dette collective, et peut fluctuer. Les enfants peuvent rembourser leur parents en les aidant plusieurs décennies plus tard. D’autres dettes ne seront jamais remboursables, surtout si elles ne sont pas identifiées. C’est particulièrement vrai des dettes négatives, qui seront généralement remboursées à d’autres, sous forme positive ou négative.
Bibliographie
J’ai retenu particulièrement quelques titres que je souhaite approfondir dans cette bibliographie
- KLEIN Mélanie, RIVIERE Joan, L’amour et la Haine, Paris, Larousse, col. Petits classiques Larousse, 1999
- MARTY François, L’Illégitime Violence. La violence et son dépassement à l’adolescence, Toulouse, Erès, 1997
- RUBIN Gabrielle, Le Sadomasochisme ordinaire, Paris, L’Harmattan, 1999
Vous pouvez découvrir cet ouvrage sur le site de Gabrielle Rubin