Chansons de séparation

Les sentiments que provoquent une séparation sont complexes et souvent violents. L’impression d’injustice, la colère, les regrets, les références à la peur de l’abandon, de la solitude, les barrières qu’on s’impose et qu’on impose à l’autre pour éviter la réconciliation qui fait peur, la douloureuse prise de conscience que ce n’était pas parfait avant, la culpabilité et la culpabilisation, des vagues d’émotions se libèrent sur des êtres déjà fragilisés par la perte d’une présence rassurante.
Un bon bouillon de culture pour les chansons qui en découlent, qui sont souvent plus poignantes que les chansons d’amour. La beniaiserie du couple dans lequel tout va bien donne rarement une inspiration artistique intéressante. Les auteurs de chansons de séparation donnent souvent l’impression de savoir de quoi ils parlent. Ils ont (ou font croire qu’ils ont) ce grain de folie qui les trahit.

L’incompréhension

Première réaction à chaud. Simple et efficace : consternation et larmes comme Jeanette en 1974 dans Porque te vas, un tube indémodable. La simplicité des paroles et des sentiments décrits se passe de commentaires.

Le sacrifice

Le personnage féminin de la chanson Good Woman de Cat Powers ne veut pas être une femme mauvaise et ne veut pas que son amoureux devienne mauvais. On peut sans trop de risques penser qu’il s’agit d’être mauvais avec une autre femme, la femme officielle qui serait abandonnée. Les valeurs morales et le respect de soi plutôt que la satisfaction de son désir.

La résignation sous condition

Si on fouille un peu dans la diversité des chansons de séparation, on peut discerner des raisonnements irrationnels. Dans cette chanson du film indien Kank qui parle d’un divorce, on sent la résignation à condition que le souvenir ne soit pas tué ou perverti. La survie de la douleur est un élément important du deuil de la séparation.

A noter au passage l’utilisation pop du udu comme batterie, pas désagréable. La chanteuse Alka Yagnik est en corde fines nasalisée, quelquefois en cordes rigides nasalisées, des configurations rares en occident mais qui sont la norme en musique indienne (je le note ic en passant pour m’en souvenir pour un article que j’écrirai plus tard). Le chanteur Sonu Nigam est plus occidental dans sa technique et son expression.

Tourner la page

A ma connaissance, il n’existe pas de chanson demandant à tourner la page, ce qui serait à mon sens absurde. A la limite Tourner ma page de Jenifer s’en approche, mais elle « est riche du temps perdu », ce qui contredit le titre. Il y a bien une persistance du souvenir de l’échec, malgré la bravade. C’est d’ailleurs une des chansons les plus froides sur ce sujet. Il n’y a pas une once de souffrance, ce qui doit expliquer cela. Ca reste une des rares chansons de cette chanteuse qui commence à avoir un faux-air de maturité.

Ne pas tourner la page

Isabelle Boulay préfère prendre Jenifer à contrepied. Elle n’oubliera pas, même par-delà la mort. Le refus de tourner la page montre une fusion non résolue, qu’on comprend dans le titre Ton histoire. La tienne ou la mienne, ou une confusion des deux ? Cette attitude sans aucune ouverture possible n’a pas donné lieu à beaucoup de chansons. On est difficilement concerné par un enfermement dans un cercle vicieux sans espoir d’évasion.

La colère

Carrière fugace pour Sabine Paturel, basée sur un tube sur une jeune femme qui pète un boulon au départ de son copain. Dommage qu’il manque une sincérité dans la colère de ce personnage, qui fait plus sale gosse que femme désespérée. Il reste le mérite, outre la qualité tubistique de cette chanson, de montrer la colère, qui est une réaction nécessaire dans ces situations, et qui est rarement chantée.
On peut remarquer au passage la technique du larynx haut, qui donne immanquablement une voix de gamine, avant la grande vague des larynx hauts des années 2000.

La fausse bravade

La reine des chansons de séparation est incontestablement Someone like you, le tube interplanétaire d’Adèle. Sa posture n’est pourtant pas claire. Le personnage reste très ambigu, entre la volonté affirmée de tourner la page, la résignation, un besoin irrépressible de laisser un regret qui est presque cruel,

I had hoped you’d see my face,
And that you’d be reminded that for me it isn’t over

et une dose de jalousie envers la remplaçante. Il plane dans l’air un peu de masochisme, à remuer le couteau dans la plaie, et se dévaloriser pour son incapacité à garder son conjoint. On tient bien là le grain de folie nécessaire au sujet de la séparation non-résolue, mais avec la recherche d’une issue. On ne peut pas se reconnaitre dans l’héroïne, ce qui est rassurant, mais on voudrait la consoler, ce qui est valorisant.

Prestation un peu avant le craquage de voix qui l’a mise sur la touche huit mois. Une bonne mise en garde contre l’association cordes rigides/fry. On entend bien le nodule en particulier quand elle passe en cordes fines en disant « too » (refrain) ce qui ne devrait pas permettre le bruit d’air. Elle a admirablement résolu le problème depuis. Revenons au sujet.

L’accusation de manipulation

Difficile d’assumer la séparation. Le chanteur Gotye se plaint que sa compagne ait coupé brutalement les ponts. Plutôt classique à la base, le sentiment d’injustice de la personne qui se sent abandonnée sans raison. Mais la chanson Somebody That I Used To Know traite le sujet un peu plus en profondeur en permettant à la chanteuse (Kimbra, invitée sur ce titre) de répondre en accusant le narrateur de manipulation et de harcèlement. Un bel exemple de la force et de l’ambiguïté que peut apporter la rencontre entre un chanteur et une chanteuse sur le sujet d’une séparation difficile à résoudre. Surtout que l’un sans l’autre ils n’avaient pas révolutionné le monde de la musique avant ce titre en duo.

La dérision amère

Je n’ai pas approuvé les paroles de Jérôme Houlbert sur ma musique quand j’étais dans Kreposuk, surtout parce qu’elles reposent sur une dévalorisation de l’autre et un déni de responsabilité, que je trouvais stérile. Par ailleurs le traitement humoristique du sujet est bien fait, ce qui rattrape la chanson, et mon reste d’affection pour elle.

Le procédé consistant à dire après coup que la relation n’a jamais été positive et qu’on est content d’être débarrassé est assez courante par ailleurs, dans les styles festifs en particulier. On devine quand même une douleur sourde dans ce qui reste dans le fond un mensonge. D’ailleurs je n’ai jamais entendu un chanteur dire « vivement que tu partes », ou alors de façon très ambiguë et chaotique comme Richard Gotainer,

mais on frôle le hors-sujet puisque la dame est encore plus ou moins là, donc je n’insiste pas.

 

L’insouciance

La masturbation

A défaut d’oublier l’être cher, c’est un bon moyen de lui rester fidèle sans lui faire de mal. Il fallait Max Boublil pour tirer la substantifique moelle de ce sujet glissant, avec Depuis que tu n’es plus là.

Moi je m’en fous t’as du poil aux pattes

Un peu plus tendre. Un regret désabusé sans dramatisation. On est dans la tradition des chansonniers que nous avons légués aux québécois, avant de passer à la chanson réaliste : tout est sous-entendu. Trop peut-être ?

On pourrait en trouver (ou en écrire) d’autres. Le sujet semble inépuisable. Il y a une certaine pauvreté sur la vengeance par exemple, et encore plus sur la réconciliation.

Une discussion sur mon Facebook a ouvert d’autres pistes avec un panel intéressant de chansons de séparation à redécouvrir.