The wind that shakes the Barley

Cette vieille chanson irlandaise est entrée dans mon histoire au moment de la refondation de Realta en 2009. Je cherchais dans le répertoire irlandais quelques chansons qui feraient la passerelle entre ma nouvelle collègue chanteuse et l’ancien style du groupe, pour servir de socle à notre nouvelle orientation artistique. Un de mes fils directeurs était la recherche de la présence des femmes dans les chansons irlandaises, que le chant en duo chanteur-chanteuse pouvait mettre en valeur. L’enregistrement qui en a découlé était prometteur et original mais il n’est plus disponible à l’écoute. Nous avons été confrontés à la difficulté de rendre cette chanson dynamique. Comme beaucoup de chansons irlandaises qui se chantent a capella, elle a du mal à tenir engoncée dans le carcan d’une mesure. D’où peut-être le grand nombre de rythmiques différentes qui lui ont été appliquées.

J’ai repris le flambeau en apprenant cette version, que j’ai chantée deux fois en live je crois. La version que j’ai enregistrée à l’époque semble perdue.
Ma rencontre avec Jonathan INIZAN quelques semaines après m’a rapidement fait évoluer vers une réflexion rythmique plus poussée. C’est aussi à cette époque, sur cette chanson, que ma réflexion sur le rapport entre travail vocal et histoire personnelle a pris corps. Ce travail de duo a donné un arrangement original à sept temps (plus si affinités), la meilleure trace de cette collaboration très riche :

Avec le recul, les sept temps semblent couler de source quand on récite le texte sans musique. La poésie appelle une interprétation rythmique dont nous avons fini par nous laisser imprégner.

Avec l’arrivée d’une chanteuse-violoncelliste dans Realta, nous avons décidé de faire évoluer cette version vers une version en duo, avec croisements des voix, ce qui est le cœur du projet.

La révolte

L’histoire irlandaise est émaillée de nombreuses révoltes contre l’occupant anglais. La révolte de 1798 a été proche d’aboutir. Elle est liée à l’Histoire de France, puisque la Révolution Française a accaparé beaucoup d’énergie de la part des têtes couronnées d’Europe. Pour la première fois, la révolte des « United men of Ireland«  (que le héros de la chanson veut rejoindre au deuxième couplet) ne partait pas de revendications féodales ou de luttes d’influence, mais elle a pour objet de couper les ponts avec l’Angleterre. En 1798 une insurrection aidée par la France permet la proclamation d’une république, qui est matée dans le sang peu après. On trouvera par la suite beaucoup de combattants volontaires irlandais dans les armées françaises. Ces exodes ont donné matière à de nombreuses chansons. On pourra citer Siul a ruin par exemple.

Le titre de cette chanson, Le vent qui secoue l’orge en français, est inspiré des « croppy holes ». Une grande partie de l’Irlande est couverte de tourbe, support stérile où rien ne pousse à part de la mousse. Les combattants irlandais partaient au combat avec des poches de céréales pour survivre pendant les déplacements. Quand ils étaient sommairement exécutés et enfouis dans la tourbe, on trouvait les années suivantes des zones au-dessus des charnier où l’orge qu’ils portaient avait prospéré, enrichi par leurs cadavres. Ce symbole du cycle de la réincarnation est très fort dans une vision celtique de la vie.

La chanson

Les paroles sont du poète irlandais Robert Dwyer Joyce, à la fin du XIX° siècle. La mélodie semble très ancienne, peut-être un collectage de l’auteur, ce qui était fréquent à l’époque.

Le héros va voir sa jeune fiancée avant de s’engager dans la rébellion. Pendant leurs adieux, elle reçoit une balle anglaise et meurt dans les bras de son bien-aimé. Celui-ci devient fou et part se venger. Le thème de la fiancée qui meurt, ou qui est abandonnée pour partir combattre est récurrent dans les rebel songs. Ces chansons présentent presque toujours un héros dépassé par la force de l’Histoire. L’utilisation de personnages identifiés et sensibles est une marque du style celtique.

Les paroles

I sat within the valley green, I sat me with my true love
My sad heart strove the two between, the old love and the new love
The old for her, the new that made me think on Ireland dearly
While soft the wind blew down the glen and shook the golden barley.

‘Twas hard the woeful words to frame to break the ties that bound us
But harder still to bear the shame of foreign chains around us
And so I said, « The mountain glen I’ll seek at morning early
And I’ll join the bold united men, while soft winds shake the barley »

‘Twas sad I kissed away her tears, my fond arms round her flinging
When a foeman shot burst on our ears from out the wildwood ringing
A bullet pierced my true love’s side in life’s young spring so early
And on my breast in blood she died while soft winds shook the barley

I bore her to some mountain stream, and many’s the summer blossom
I placed with branches soft and green about her gore-stained bosom
I wept and kissed her clay-cold corpse then rushed o’er vale and valley
My vengeance on the foe to wreak while soft wind shook the barley

But blood for blood without remorse I’ve taken at Oulart Hollow
I’ve laid my true love’s claylike corpse where I full soon may follow
As round her grave I’ve wandered drear, noon, night and morning early
With breaking heart when e’er I hear the wind that shakes the barley.

Le quatrième couplet est souvent enlevé.

Dolores Keane

Après avoir monté le groupe De Danaan, Dolores Keane se lance dans une carrières solo. A travers elle, c’est toute la tradition irlandaise qu’on peut entendre. Une version et une voix teintées de son époque, inspirée de folk américaine. On aura du mal à trouver une version pur trad, mais cette version raconte l’histoire du renouveau celtique par des arrangements plus lisses et plus fédérateurs que le système modal de la musique celtique. A noter, l’apparition du uilleann pipe, la cornemuse irlandaise typique.

Dead can dance

La version Dead can Dance est sans doute la plus connue, depuis quelle a servi de bande-son au film de Ken Loach « The wind that shakes the barley », « Le vent se lève » en français, qui a eu la Palme d’Or à Cannes en 2006. Le film ne parle pas de la révolte racontée par cette chanson, mais de la révolte de 1916, peut-être comme une sorte de revanche de l’Histoire pour ces hommes tombés au XVIII° siècle et qui n’ont pas vu le résultat de leur sacrifice.
L’arrangement est simple à l’extrême : a capella, dans la grande tradition des vieilles chansons irlandaises qui se prêtent bien à ce style. Tout le charme est évidemment dans l’expression vocale.


On trouve de nombreuses versions à l’identique de cette version. Je citerais le chanteur Declan de Barra et la chanteuse Amanda qui se sortent bien de cet exercice ingrat, sans apporter leur pierre à l’édifice.

Loreena McKennitt

La chanteuse canadienne revient à ses origines irlandaises avec un album en 2010 à qui elle donne le titre de « The wind that shakes the barley ». Ce choix peut se comprendre par la double casquette de cette chanson, qui évoque les deux mamelles de la musique irlandaise : la révolte et les histoire d’amour désespérées, qu’on retrouve mêlées dans cet album.

Sa version ressemble à la version traditionnelle a capella, bien qu’il y ait un arrangement discret derrière, avec entre autres de la guitare et du violoncelle (Caroline Lavelle).

Le groupe The alias acoustic band présente une variante à deux voix a capella sur une mélodie très proche de celle de Loreena McKennitt, sans doute en partant de la même source traditionnelle.

Dick Gaughan

Toujours dans les arrangements simples mettant la voix en valeur, le chanteur-guitariste écossais Dick Gaughan s’accompagne juste à la guitare. Un jeu très irlandais, dynamique, mais laissant une certaine liberté à un chant très inspiré. La mélodie est originale, même si on y devine la version traditionnelle.

Solas

Ce groupe irlando-américain, avec sa chanteuse Karan Casey, est allé le plus loin dans le changement de rythmique, donnant la version la plus enlevée, en dédoublant les temps.

On pourra juste poser la question du rapport entre toute cette joie et une jeune fille qui se vide de son sang dans les bras de son bien-aimé.

On trouve une reprise de cette version à l’identique par le groupe Belfast food.

Martin Carthy

Je ne dirais pas que la version de ce chanteur anglais soit une version majeure, mais elle semble proche des origines, avec une mélodie qui ressemble à la fois à la version Dead can Dance et la version Dick Gaughan. Je la cite donc comme une source possible à un nouvel arrangement.

Rebecca Noël

Je finirai par cette version proposé par une jeune chanteuse de Nancy, parce que l’arrangement de piano est très intéressant et original. Elle a l’air de vouloir présenter des vidéos pédagogiques sur la musique celtique. A suivre.